Cancers professionnels : quels sont les procédés de travail à risque ?
Certains procédés de travail, incluant des activités ou conditions de travail, peuvent provoquer l’apparition de cancers. Comment mettre en évidence le caractère cancérogène de ces procédés de travail afin de pouvoir mieux protéger les travailleurs exposés ? L’Anses a proposé une méthode pour identifier les procédés cancérogènes et a évalué la cancérogénicité de trois d’entre eux. Elle a également établi une liste des procédés à expertiser prioritairement dans les années à venir.
Une méthode pour identifier de nouveaux procédés cancérogènes à inclure dans la réglementation
Si la classification des substances et produits chimiques cancérogènes repose sur des critères définis par le règlement européen relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage (dit règlement CLP), ce n’est pas le cas des procédés ou circonstances d’exposition susceptibles de provoquer des cancers chez les travailleurs.
Parmi ces circonstances d’exposition et procédés, on peut citer par exemple les opérations de soudage ou de ponçage, qui peuvent exposer à un ensemble de gaz, particules et poussières nocives, ou encore des conditions de travail spécifiques, telles que des activités en extérieur exposant aux rayonnements UV du soleil ou l’exercice d’un travail de nuit.
En l’absence de critères scientifiques établis au niveau européen et français, la Direction générale du travail a saisi l’Anses afin qu’elle se penche scientifiquement sur l’inclusion de nouveaux procédés cancérogènes dans la réglementation. À ce titre, l’Agence a mené plusieurs expertises de 2021 à 2024.
Qu’est-ce qu’un procédé de travail ?
Au titre du classement comme « procédé cancérogène », l’Anses prend en compte les procédés industriels mais aussi les organisations du travail, professions, tâches professionnelles et plus largement toutes les situations occasionnant des expositions professionnelles à des groupes d’agents chimiques, physiques, biologiques. En revanche, les contraintes relationnelles et donc les facteurs pouvant générer des risques psychosociaux sont exclues.
La liste des procédés cancérogènes selon la réglementation applicable sur les lieux de travail figure au niveau européen à l’annexe I de la directive européenne 2004/37/CE et, au niveau français, dans l’arrêté du 26 octobre 2020. Actuellement, la liste de cet arrêté résulte essentiellement de transpositions de directives européennes.
Lorsqu’un procédé est inclus comme cancérogène dans la réglementation applicable sur les lieux de travail, des mesures d’évaluation, d’information et de prévention renforcées doivent être mises en œuvre, dont un suivi médical individuel. Les employeurs doivent également remplacer les procédés cancérogènes par d’autres procédés lorsque cela est possible.
L’Agence a élaboré et publié une méthodologie d’identification et d’évaluation des procédés cancérogènes qui se base sur les résultats des travaux internationaux déjà existants, dont les évaluations du CIRC (Centre international de recherche sur le cancer), les travaux du comité d'experts néerlandais sur la sécurité au travail (DECOS) ou ceux du programme national de toxicologie (NTP) américain. L’objectif est de préciser les organes touchés par un cancer et de déterminer le niveau de preuve, c’est-à-dire le degré de certitude du lien causal entre l’exposition lors de la mise en œuvre du procédé évalué et la survenue du cancer.
Une méthodologie déjà appliquée à trois procédés
Ces dernières années, à la demande du ministère chargé du travail, l’Anses a utilisé cette méthodologie pour évaluer trois procédés fortement soupçonnés d’être cancérogènes et qui sont fortement rencontrés en milieu professionnel. Il s’agit :
- des travaux exposant aux cytotoxiques, qui ont conduit l’Anses à recommander en 2021 l’inscription dans la réglementation française des travaux exposant à 18 substances actives de médicaments anticancéreux,
- des travaux exposant aux fumées de soudage, que l’Agence a recommandé en 2022 d’inscrire également dans la réglementation. Il s’agit des travaux exposant aux fumées de soudage ou aux fumées métalliques de procédés connexes notamment le brasage fort, le gougeage, l’oxycoupage, la projection thermique, le rechargement,
- des travaux exposant aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), sur lesquelles l’Anses vient de finaliser son évaluation pour les travaux exposant aux émissions de friture.
Reconnaître le caractère cancérogène des travaux exposant aux émissions de friture avec des graisses animales ou végétales
Lors de la friture, l’augmentation de la température favorise les transformations physiques et biochimiques de la matière grasse et des aliments, générant des émissions de HAP, de particules fines et ultrafines et de nombreux composés organiques volatils. La composition des émissions de friture varie selon le type et la température de friture, la matière grasse utilisée ainsi que le temps de cuisson, le type d’aliments frits et la source d’énergie utilisée pour la cuisson.
En 2010, le CIRC a classé les émissions de friture à hautes températures comme « cancérogènes probables pour l’Homme ». Les données actualisées par l’Anses confortent cette classification comme cancérogène probable pour l’Homme pour le cancer pulmonaire. Suite à la mise en œuvre de sa méthodologie d’évaluation, l’Agence préconise d’ajouter les travaux exposant aux émissions de friture utilisant des graisses animales ou végétales à la liste réglementaire des procédés cancérogènes pour les trois modes de friture suivants : le sauté à la poêle, la friture à la poêle et la friture profonde, c’est à dire par immersion dans la matière grasse.
L’Anses souligne le peu d’études publiées en dehors de l’Asie du Sud-Est, tant pour l’évaluation de la cancérogénicité des émissions de friture que pour l’évaluation de l’exposition des professionnels. Cela questionne sur le niveau d’attention porté aux expositions professionnelles liées à ce mode de cuisson en France voire en Europe. Pourtant, un nombre important de travailleurs est potentiellement concerné avec, d’après l’Insee, plus de 1 400 000 personnes salariées dans les secteurs de la restauration ou de l’industrie agroalimentaire en France fin 2021.
L’Agence recommande donc la conduite d’études ou de travaux de recherche permettant de produire des connaissances sur les dangers, les expositions et les risques liés aux travaux exposant aux émissions de friture, afin de pouvoir prendre en compte les pratiques mises en œuvre en France ou plus largement en Europe.
Une liste de 15 autres procédés à expertiser
Au-delà des trois procédés déjà expertisés, l’Agence a identifié 15 autres procédés, dont trois sont à examiner en priorité, à savoir :
- les travaux exposant aux rayonnements solaires et ultraviolets, avec plus de 1 million de travailleurs potentiellement exposés,
- les expositions dans le cadre de l’activité de pompier, avec entre 100 000 et 1 million de travailleurs potentiellement exposés,
- le travail de nuit, avec plus de 1 million de travailleurs potentiellement exposés.
Réalisée à partir des données disponibles jusqu’en septembre 2023, cette priorisation a fait appel à la méthode SIRIS (Système d’intégration des risques par interaction des scores), qui permet de combiner des critères qualitatifs et quantitatifs. Deux critères ont été pris en compte : le nombre de travailleurs des secteurs d’activités concernés par les procédés en France, faute de données sur le nombre de travailleurs potentiellement exposés, et la classification cancérogène du procédé considéré.